Ma découverte de l'œuvre d'Ali Tur s'est faite par la fenêtre d'un bus parcourant
la Guadeloupe alors que j'avais 16 ans et que je rencontrais l'île natale de mes parents.
Je suis tombée sous le charme de cet édifice monochrome et massif, aux volumes géométriques saillants, de style Art Déco,
qui contrastait formidablement avec la nature luxuriante, et les toits en tôles rouges des bâtiments avoisinants.
Dix ans plus tard et après des études d'architecture à Paris, je retrouve cette architecture particulière dans un livre dans lequel j'apprends l'existence d'environ une centaine de bâtiments semblables dispersés dans tout l'archipel, au créateur commun et dont l'histoire qui remonte aux années 30 est unique et souvent méconnue.
Passionnée par le dessin depuis toujours, mon premier réflexe fut de reporter sur mes carnets de croquis ces formes géométriques, symétriques, ces volumes imposants, monochromes et ces lignes strictes qui m'ont rapidement donner envie d'aller plus loin.
J'ai alors étiré ces lignes à partir desquelles sont nées des trames autour des bâtiments, les faisant tantôt ressortir, tantôt disparaître.
Cette grille ne demandait qu'à vibrer et les couleurs vives sont venues combler les formes originelles et celles nouvellement crées renforçant l'effet de détachement de l'édifice par rapport au fond, mais aussi au contraire, permettant à la forme du bâtiment de s'y fondre, jusqu'à se perdre.
Il est intéressant de voir que le résultat rappelle un autre élément du patrimoine caribéen : le madras. Tissus coloré à carreaux originaire d'Inde, que les femmes créoles ont utilisé pour la confection de la tenue traditionnelle antillaise.
Cette architecture nouvelle en son temps s'est fondue dans le paysage de par sa fonction. Ce sont des mairies, des églises, des écoles… des bâtiments du quotidien qu'on ne voit plus à force. Cependant le contraste visuel entre ce bâti et l'architecture locale est aujourd'hui encore perceptible. Un contraste né du chaos (le passage dévastateur d'un ouragan en 1928) et d'un architecte à la mission singulière, il y a 90 ans, à qui je ne peux m'empêcher de rendre hommage.